L’illustration de cet article a été choisie délibérément car elle met bien en lumière un détail qui me chiffonne. Elle a été réalisée par Ben Newman, si mes recherches ne m’ont pas mentis.

Donc, le gouvernement a fait de jolies affiches pour dénoncer le harcèlement sexiste et les agressions dans les transports en commun. Je suis à fond pour, ça va sans dire. Ça fait des années déjà que je saute sur toutes les occasions de dénoncer le harcèlement de rue, y compris directement auprès des agresseurs. Leur tête quand je m’arrête et leur réponds est souvent assez impayable, d’ailleurs.

Mais le harcèlement, ça n’arrive pas que dans la rue, ça peut aussi se produire sur internet. Et quand vous avez décidé d’axer votre production principalement autours de l’érotisme, les harceleurs ont tendance à se croire tout permis. Encore plus que d’habitude, s’entends.

Il y a un exemple tout frais qui vient de me tomber sous la main et il est tellement représentatif que j’aimerai qu’on le commente ensembles.

MCF06
Ceci est une image que mon cher ami Nicolas Fourny a récemment posté sur son Flickr. Vous pouvez cliquer pour aller y faire un tour, c’est une chouette galerie.

 

Hier soir j’ai remarqué dans les commentaires de cette image un post qui a été supprimé depuis. Il disait cependant en l’essence : Joli petit chaperon rouge, en le voyant il me prends des envies de me faire loup pour mieux la dévorer.
Et c’est plus fort que moi, je ne rate pas une occasion de faire savoir aux gens que je suis un être humain avec des sentiments et que se comporter comme ça, c’est me manquer de respect. Qu’ajoutées bout à bout, ces remarques créent un climat d’insécurité sourde qui me pousse à me demander, des fois, si je ne fais pas raccrocher. Souvent ça se passe plutôt bien et je gagne un follower qui s’efforce de me montrer sa contrition en me félicitant pour mon sens du cadrage ou de la lumière. Aussi souvent la personne m’ignore, mais quelle que soit l’issue, je suis généralement contente de mon choix. Parce que ne rien dire, c’est en quelque sorte légitimer, vous voyez.

Voici le post que j’ai fait ce jour là:

chaperon rouge commentaire

Michelle, qui est en fait un homme qui poste des photos de lui en lingerie féminine, et qu’on pourrait donc imaginer plutôt progressiste sur la question du respect qu’on doit aux femmes, a ressenti le besoin de s’expliquer, non plus sur la même image mais sur une autre que j’ai prise moi-même le même jour.

chaperon rouge et grand méchant loup

On ne s’étonnera pas du fait que je lui ai à nouveau répondu un roman, j’ai comme qui dirait la gâchette facile. Sachant que vous êtes déjà massivement sensibles au sujet, je ne prends pas le temps de le réécrire ici, mais j’aimerai par contre revenir sur un ou deux points qui me chiffonnent.

A quel moment ai-je donné mon consentement ?

Cet homme que je ne connais pas est en train d’étaler un paragraphe érotique -de mauvaise qualité qui plus est- au yeux du public et sans me demander mon avis il me prends pour protagoniste. Me voilà en train de lire par le menu ce qu’il aimerai me faire avec une espèce de fascination glacée. On peut alors se demander ce qui lui a donné -du moins à ses propres yeux- le feu vert pour poster ce message. En quoi, sous quel angle est-il légitime ?

Parce que je me met en scène de façon érotique ?

Parce que toutes les femmes le veulent, et donc moi aussi ?

Parce que je suis une femme et donc un objet de désir ?

Parce qu’il est un homme et donc en doit de me donner son appréciation, comme un juge en pleine foire aux bestiaux ?

Parce qu’au fait, pardon, j’aurai du commencer par là : c’est à ça que vous nous faites penser quand vous nous glissez un « très charmante » ou « superbe poitrine » au détour d’une rue ou d’un quai de métro. En tout cas moi c’est à ça que je pense. Je me demande si vous trouvez votre propre opinion tellement incontournable que parfois vous me courrez un peu après pour me l’asséner un bon coup, au cas où je ne l’ai pas entendue la première fois, et que son bénéfice ai donc été perdu pour moi. Trop aimable, vraiment.

S’approprier l’objet du désir.

Nous n’avons auparavant établis aucune correspondance, nous ne sommes pas sur un forum érotique, je ne suis pas non plus une opératrice en séance (hôtesses de charme, quelle doit être votre douleur !) et pourtant le voilà qui promène en esprit sa langue sur ma peau et qui ressent le besoin de me le dire. Quitte à être l’otage de ses fantasmes, pourquoi dois-je être au courant ? Pourquoi devons-nous entendre vos commentaires, croiser vos regards dégoulinants d’autosuffisance, subir vos mains sur nos jeans à peine nous entrons dans l’espace public, et ce qu’il soit réel ou virtuel ?

Une collègue me partageait un jour l’histoire d’un gamin qui avait facilement 7 ans de moins qu’elle mais qui, probablement pour impressionner un groupe de potes, lui a gueulé un compliments sur un quai de métro. Quand elle a pris le parti de l’ignorer, il s’est planté à quelques centimètres de son visage pour crier à nouveau « tu dis pas merci ? ». Par peur de se faire frapper ou précipiter sur la voie, elle a marmonné un « merci ».

J’en viens à la théorie que mater tranquillement les jolies filles qui passent ne suffit pas, et qu’il faut s’imposer à elle d’une façon ou d’une autre. Leur imposer sa domination d’homme, les forcer à plier même un petit peu pour que le point soit comptabilisé, en quelque sorte. Et pour se tranquilliser, on décrète que, les femmes étant plus belles quand elles sourient, elles devraient sourire tout le temps pour le bénéfice des hommes là dehors qui aimeraient se rincer l’oeil sur des filles qui ne font pas la tronche, s’il vous plait, merci. En fait une fille, c’est une jolie chose à regarder, consommer, posséder, dominer. Et les seules qui ne soient pas consommables sont épargnées parce qu’elles sont déjà aux mains d’un autre homme.

En définitive, le petit chaperon rouge, ça serait pas un peu une grosse salope ?

Elle portais du rouge non ? seule dans la forêt en plus. Sa mère grand malade, ça ressemble à une bonne excuse pour aller chercher des ennuis si vous me demandez mon avis.

Le twist le plus courant de l’histoire du petit chaperon rouge créé une complicité entre le chaperon et le loup. Concernant un conte portant sur la perte de la virginité, j’ai tendance à voir ces détournements d’un oeil assez positif. Si, plutôt que de finir dévorée/violée par le loup, la petite fille pouvait s’en faire un ami et grandir sans subir d’agression, ça me ferait super plaisir pour elle.

On se retrouve aussi souvent dans des représentations d’un loup sombre et musculeux, souvent de proportions gigantesques qui se prends d’amitié pour la petite fille, dont l’innocence le désarme, j’imagine. Ma foi pourquoi pas. Ca sent un peu le loup/père qui veille sur la virginité de sa protégée. on se demande la gueule que va faire le loup quand Rouge tombera amoureuse, mais pourquoi pas. Que faisons-nous par contre de ce fantasme très répandu qui laisse entendre que tout ça, c’est la faute du chaperon, qu’elle ne cherchait pas autre chose, qu’en fait elle a aimé ça, que c’est normal de forcer un peu au début mais qu’elle va apprendre à aimer.

Est-ce qu’en érotisant un viol, on ne renforce pas la culture qui le favorise, justement ?

Ne nous trompons pas, je ne cherche pas à condamner les fantasmes des gens. Tant qu’on sait faire la part des choses, et qu’on s’en tiens au safe, sain et consensuel, la dernière chose que je veux faire, c’est juger. Mais aujourd’hui un type s’est pris pour le grand méchant loup face à moi, alors que je ne portais pas de rouge, et que ça fait belle lurette que je ne suis plus vierge. Il m’a fait enfiler le costume de la victime dévorée, comme un photographe indélicat peut me demander d’enfiler un costume d’écolière. J’ai l’impression que me rajeunir est le moyen le plus rapide de me couper les griffes, de me rendre inoffensive et apte à la consommation.

Je ne suis pas une victime. je ne suis pas une salope qu’on force mais qui aime ça quand même. Quand je réalise un fantasme qui suppose une perte de contrôle, c’est en concertation avec mon partenaires, je n’arrache pas aux gens la possibilité de dire « non », de dire « stop ». je ne m’arroge pas le monopole du consentement. J’aimerai qu’on prenne tous le temps de se demander, quand on commente des travaux érotiques, si nous sommes bien capables de faire la part entre le fantasme mis en scène, et les acteurs.

Et à ce sujet d’ailleurs, Sirithil va probablement rédiger un livre sur ce que ça implique d’être modèle, et le projet a besoin de soutient. Elle aussi, elle réfléchis beaucoup au sujet, et si tu as lu ce post jusqu’ici, ça pourrais te tenter.

https://www.kickstarter.com/projects/sirithil/lart-de-la-pose-osez-le-narcissisme/widget/card.html?v=2

Je vous aime et je vous dis à très vite.