« Pour lui tu as posé nue »

 

On ne manquera pas de dire que je suis encore une fois trop à cheval sur la sémantique mais quand une action cruciale comme celle de se mettre (à) nu(e) est en jeu, je ne suis pas une fan des substantifs , nom communs et autre saloperies.

En devenant un nom, ma nudité est devenir un objet comme un autre, qu’on peut choisir de distribuer ou non comme des friandises. Débarrassée de l’action/condition sine qua non qui devrait pourtant n’échapper à personne: pour que je pose nue il faut que je retire mes vêtements.

Et pour que je retire mes vêtements que faut-il? apparemment ce détail n’est pas digne d’intérêt.

 

« je n’avais pas compris que votre nudité n’était réservée qu’à certaines personnes »

 

Si je devais donner mon avis je dirais que la façon qu’à un modèle d’entourer ou pas le nu d’une part de mystère, d’élection, n’est que le reflet de qui elle est. Je ne peux pas parler au nom des filles qui considèrent le nu comme naturel, le corps comme un objet parmi d’autres, ou celles plus militantes qui font de leur effeuillage un acte engagé (et encore une fois je parle des modèles). Je peux cependant parler en mon nom et je vais vous dire une choses toute simple: je ne me fout pas à poil si je ne considère pas que j’ai une bonne raison.

 

« mademoiselle est-elle disponible pour une séance fetish? »

 

Je pose depuis déjà plus de quatre ans. La première année je tenais jalousement un petit carnet à jour. 93 séances en 10 mois. On peut donc dire sans exagérer que je dois avoir à mon actif environ 300 shootings. Pouvez-vous imaginer le nombre d’emails, de compromis, de négociations qui ont du être menées non seulement pour que ces 300 séances aient lieu mais aussi pour toutes les autres, celles que j’ai refusé, celles qui ont avorté en cours d’élaboration. Ca laisse le temps de constituer un chouette florilège de tractations pas toujours glamour.

 

« Ok pas de nu. Accepteriez-vous alors de poser en string? »

 

Je pose pour des personnes que j’apprécie ou dont j’admire le travail. Des personnes qui en se sentent pas menacées par ma franchise, dont le travail a su éveiller en moi une ENVIE. Si j’ai envie de devenir la fille sur leur photo, si je me met à considérer que leur regard sur ce que je suis pourrais donner quelque chose de beau alors je me consume. C’est une envie dévorante chez moi, une qui me fait dire qu’en matière de photos je suis un poil obsessionnelle.

Je pose pour des gens qui m’ont choisie.

Dans le meilleur des cas de cette élection mutuelle naît un projet. Comment s’étonner alors qu’un processus si personnel donne une foule de résultats différents et parfois contradictoires?

 

« je ne comprends pas, vous apparaissez pourtant nue sur votre book »

 

Comment accepter que mes choix ne soient pas pris pour ce qu’ils sont: mes choix, et que certains en viennent à considérer un bout de mon corps en plus comme un droit?!?

Je vois déjà des petits malins au fond de la salle pavoiser: « pour que MademoiselleCherie quitte ses vêtements il faut un groooos chèque ». Je n’ai jamais cherché à vous cacher mon attrait pour une certaine forme d’aisance. Oui, l’argent peut être une des raisons. Mais certainement pas la raison nécessaire et suffisante.

Combien de photographes qui actuellement se présentent comme des chantres de la beauté de la femme, emplis de repect dans ce qu’elle a de sensuel et élégant (sic) sont incapables de le concevoir? Vous seriez surpris.

 

« pas de string, je comprends. mais dans ces conditions c’est 20€ de moins par heure »

 

Alors  maintenant?  Puis-je tolérer les milles incivilités, le sexisme profondément ancré dans chaque pratique, la transformation d’un échange humain et créatif en une simple transaction? Vous semble-t-il normal que ce qu’on accorde ou non soit quantifié, tarifé, comparé, qu’on soit traité comme de la viande dénuées d’âme?

 

« Il me semble que la rémunération proposée est suffisante pour que vous retiriez vos vêtements ».

 

Est-il acceptable de se faire « couper en tranches » de cette façon, qu’un tarif soit défini selon ce qu’on dévoile, selon le travail préparatoire fournis ou non?

20€ pour un bras, 10€ pour les jambes, 30€ pour le décolleté, 40€ pour la poitrine, 40€ de plus pour mes fesses… et combien pour le saint graal? Vous seriez surpris, ça n’est que 20€ de plus qu’ils proposent pour voir ma chatte. A ce tarif il serait plus rentable de se faire greffer un troisième sein.

« je souhaite réaliser des photos dans une ambiance glamour avec robes de soirée (très décolletées et courtes). Pour ce type de photos « mode » la rémunération prévue est de 30€ par heure »

J’ai déjà reçu un mail d’un photographe jaloux que j’ai posé nue pour un de ses camarades et pas pour lui mais jamais d’un photographe jaloux que je me soit entraîné à réaliser de nouvelles coiffures ou que j’ai passé des nuits à préparer mon costume pour un autre et pas pour lui. Détail? je ne crois pas.

« C’est bon tu peux te foutre à poil, je vais pas te violer »

Doit-on s’étonner que je ne pose presque plus que sur recommandation?

« mais enfin, pourquoi pas nue? »

« je souhaite réaliser une série de photos avec pour thématique sous les jupes des filles« 

… et vous vous en doutez la liste continue.